Le 23/12/2022

Avez-vous vraiment besoin d’une carte ?

Quand vous décidez de vous lancer dans l’écriture d’un roman, dans l’élaboration d’un JDR ou dans la création d’un univers imaginaire, vous pensez à l’histoire, aux personnages, aux péripéties, à la chronologie et très certainement au monde en lui-même.

Dès lors, vous en êtes certain(e) : vous avez besoin d’une carte.

De tous temps, les hommes ont cherché à cartographier le monde à mesure qu’ils le découvraient. 

Il en a souvent été de même dans le domaine de l’imaginaire.

Vous savez à quoi ressemble la Terre du Milieu.

Si je dis “Westeros”, sa carte mythique vous revient en tête (magnifiquement mise en lumière par le générique devenu culte).

Mais vous ne savez pas vraiment où se situe Poudlard en Angleterre.

Gemmell n’a jamais mis d’illustration de Drenaï malgré des dizaines de bouquins s’y déroulant.

Une question simple peut alors se dessiner dans votre tête de créateur ou créatrice de monde : ai-je vraiment besoin de dessiner une carte de mon univers ?

Vaste question.

Pour y répondre, j’avais envie -non seulement- de vous partager mon avis sur le sujet mais aussi de donner voix au chapitre à d’autres créateurs de l’imaginaire. Auteurs, autrices, maîtres du jeu, cartographes en herbe, nombreux sont celles et ceux à avoir répondu à l’appel et à avoir accepté de partager avec vous leurs opinions tranchées sur la question.

Je leur laisse donc ici la parole. Qui sait, certains noms vous seront peut-être familiers ?

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Avez-vous vraiment besoin d’une carte ?

Maritza Jaillet
Autrice
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Est-ce que créer ou publier ou avoir une carte pour un ouvrage fantasy est indispensable ?

Non. Rien n’est indispensable. En revanche, je vous le conseille.

D’une, c’est un outil scénaristique, certaines cartes marquent plus que certains personnages. On en parle de la Terre du Milieu ou de Westeros ? 

De deux, elle permet d’éliminer les incohérences qui peuvent se glisser. Et c’est aussi plaisant et gratifiant je trouve. C’est beau à regarder une carte ! (oui même celle en brouillon avec des montagnes en ^ et des forêts avec un arbre en bâton).

De trois, c’est un outil de travail pour vous, et aussi un élément de l’univers pour vos lecteur’rices. Vous enrichissez même votre univers en dévoilant une carte. Plus d’immersion, on peut se dire que le ou la protagoniste passe par tel village, tel endroit etc.

Y a une carte au début d’un livre, qui la passe ? Qui l’ignore ?

Pour quel monde fantasy je ne conseille pas de se casser la tête ? Si par exemple on reste dans la même ville, un plan de la ville sera plus nécessaire que le pays. Idem si c’est un huis clos dans un château, un plan de la demeure sera plus pertinent. Et vous évitera aussi des incohérences.

Oui on peut me dire « ça reste une carte », yep, mais après tout, on est dans un autre univers. Dans le nôtre on a besoin de cartes, pas dans le vôtre ?

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Astrid Stérin
Autrice
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C’est une question très intéressante.

En ce qui me concerne, je pense que c’est effectivement très utile d’avoir une carte en tant qu’auteur dans les littératures de l’imaginaire. Elle n’a pas forcément besoin d’être très détaillée, encore moins esthétique, mais elle est importante pour assurer la cohérence de l’histoire à plusieurs niveaux :

  • La configuration des lieux (est-ce que telle région est voisine de telle autre ou bien très éloignée)
  • Les noms des lieux, des villes, des montagnes, des pays voisins, etc.
  • Les temps de trajet d’un endroit à l’autre, si les personnages sont amenés à se déplacer

En ce qui me concerne, je crée toujours des cartes assez basiques sur mes univers, que ce soit à la main, sur PowerPoint ou sur Inkarnate.

En revanche, je pense que ce n’est pas indispensable de proposer une carte dans son livre, à destination des lecteurs.

C’est un bonus si on en a la possibilité, d’autant que les lecteurs de fantasy sont généralement de grands amateurs de cartes. Mais je crois qu’il faut faire attention à ce que les lecteurs puissent comprendre l’histoire sans avoir systématiquement besoin de se référer à la carte.

D’autant plus que, quand on lit en numérique, il y a un double problème : les cartes peuvent être difficiles à lire (trop petites ou mal contrastées), et c’est assez compliqué de quitter sa page pour aller voir la carte et revenir ensuite.

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Yannick Fradin
Auteur
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A titre personnel, en tant que lecteur, j’apprécie toujours de trouver une carte dans les romans que je lis, et j’en regrette l’absence quand il n’y en a pas. 

Quand je dis carte, j’entends une vraie carte, proprement dessinée, avec une échelle, une rose des vents, etc. et pas un gribouillis fait à la main ou sur logiciel, sans aucune maîtrise ni connaissance des éléments constitutifs d’une « bonne » carte. 

Pourquoi cet engouement pour les cartes ? Visuellement d’abord, je trouve cela joli et plaisant (quand elles sont réussies bien sûr !). C’est un plus pour l’immersion dans l’univers, fictif ou réel, dans lequel évoluent les personnages. 

Dans le cas d’une carte réelle, ça peut me donner envie de me rendre sur le lieu concerné pour le découvrir. Dans le cas d’une carte d’un monde imaginaire, cela m’aide à plonger dans l’univers proposé par l’auteur et à visualiser les déplacements des personnages, la nature et les autres éléments qui entourent les lieux traversés, etc. 

Outre son aspect purement esthétique, une carte apporte tout un ensemble d’éléments utiles et intéressants. Une forêt, une montagne, un lac, des routes, prennent vie en un clin d’œil là où on les découvre progressivement et plus lentement au fil de la narration. De telles cartes, en outre, peuvent être réinvesties dans le cadre de loisirs, comme le jeu de rôle pour ceux qui s’y adonnent, ou le modélisme, etc. 

En tant qu’écrivain et précisément auteur de fiction, fantasy en bonne partie en ce qui me concerne, il n’était pas envisageable de publier mes romans sans leur associer une carte. Tous les romans de ma saga de fantasy « Le Cycle de McGowein » ont par exemple leur propre carte, pour la zone du monde concernée par le roman, et la saga possède une carte générale, de laquelle les cartes individuelles sont issues, en proposant en quelque sorte des zooms des zones traversées par mes personnages. 

En amont de l’écriture, je réalise des brouillons de cartes pour m’aider à visualiser les lieux, les déplacements de mes personnages, etc. Cela m’aide à conserver une cohérence quant aux temps de déplacements, aux particularités ou aux difficultés que représentent certains reliefs, et me permet de plus facilement fixer les éléments importants de mon histoire à des points précis et plausibles. 

Même dans des mondes merveilleux et pleins de magie, on ne peut pas facilement s’affranchir des limites naturelles, et des connaissances sur le climat, les reliefs, etc. sont utiles pour construire un monde avec des repères reconnaissables des lecteurs. 

Une carte n’est probablement pas indispensable, mais c’est à la fois une aide à l’écriture quand on écrit, notamment des romans, ou des séries de romans où les lieux se multiplient, et une aide à l’immersion dans la lecture quand on lit. Il est fréquent que je photocopie ou imprime les cartes des livres que je lis et qui en comportent une. Cette carte se trouve alors à portée de main et je la regarde régulièrement pendant ma lecture.

Quand je propose mes romans à des chroniqueurs, je leur fournis toujours les cartes en haute définition en fichier à part. Certains s’en servent, d’autres non, mais au moins, elles existent. Elles n’enlèvent rien à ceux qui ne trouvent pas grand intérêt aux cartes, mais pour ceux qui y attachent de l’importance, je pense que c’est un plus appréciable. 

Pour conclure cette longue tirade et répondre à la question initiale « Avez-vous vraiment besoin d’une carte ? », je répondrai que je n’en ai pas vraiment besoin, mais que ça me manquerait s’il n’y en avait pas. 

En tant que lecteur, j’aurais l’impression que le livre ne serait pas complet, qu’il manquerait quelque chose. 

En tant qu’auteur, je me priverais d’un outil de travail puissant, et je priverais mes lecteurs du plaisir de découvrir une carte du monde dans lequel mes personnages évoluent. 

Qui n’a jamais rêvé d’arpenter certains des mondes que l’on découvre à travers les livres ?

Les cartes sont aussi une invitation au voyage !

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Catherine Loiseau
Autrice
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Non, c’est pas obligatoire, mais si vous en avez besoin, ou juste que ça vous fait plaisir, foncez !

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Cécile Duquenne
Autrice
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Quand j’écris, j’ai toujours besoin d’une carte, ne serait-ce que pour me représenter l’espace en termes de distance. L’élaboration subjective d’une carte mentale pour situer une ville par rapport à une autre passe toujours, pour moi, par l’élaboration d’une carte physique. 

Bon, « carte », c’est un bien grand mot… Il s’agit de croix et de noms répartis sur un papier, où je dessine des v renversés là où il y a des montagnes, des vagues là où il y a de l’eau, etc. Ce n’est presque jamais à l’échelle, car au final, ce qui compte, ce n’est pas que la carte soit exacte, mais plutôt qu’elle soit représentative

Contrairement aux vraies cartes, les données nécessaires au déplacement sont, au final, assez inutiles… par contre, en termes de représentation mentale de l’espace, c’est à mon sens essentiel.

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Maître Effulgens
Maître du Jeu
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Oui, car en tant que auteur/MJ etc ça me permet d’organiser le monde plus facilement dans ma tête, de le rationaliser et de le présenter.

Non, côté lecteur/joueur ça me semble contre productif car ça va venir fixer l’imagination sur un point trop éloigné de l’action ou de la description en cours.

MAIS je pense que beaucoup attendent une carte par habitude, comme un poncif obligé de la fantasy (moi le premier ^^’).

Point particulier pour les mondes de fantasy, visiblement au moyen-âge on résonnait sans carte en tête, plus proche des anciens MMO où les joueurs nomment les lieux et points d’intérêts tout seul, c’est quelque chose que j’aimerai retrouver de mon côté mais impossible pour moi de créer un univers sans passer par une carte…

Et là globalement ça forme une boucle dans ma tête.

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Thibaut (JDR-Mania)
Maître du Jeu
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Indispensable ? Non. Très utile ? Oui !

S’il s’agit de la carte détaillée qui représente le monde (ou une partie de ce monde) où se déroule l’aventure de JDR : nul doute que les joueurs seront ébahis. Une telle carte renforce l’immersion et crédibilise l’univers de jeu. Elle peut aussi inviter à l’exploration, avec des indices glissés subtilement par son créateur. Pistes de scénarios, villes cachées, repaires d’ennemis… Les possibilités sont infinies ! 🙂

S’il s’agit d’une carte à plus petite échelle (de type battlemap utilisée lors des moments de combats notamment) : super utile aussi. Je trouve qu’avoir une carte visuelle, avec quelques pions, décors et/ou figurines à poser dessus, sert de support à la narration. C’est le meilleur moyen de décharger le Meneur de Jeu de descriptions répétées, notamment pendant les phases de combat, avec des questions du type « Mais je suis où moi déjà ? ». 

Le Jeu de Rôle reste une activité basée sur la narration et l’imagination. Une carte est de ce fait bienvenue pour venir en renfort du MJ et l’aider à situer les personnages, notamment au cœur de l’action (et éviter des précisions comme : « untel est à quelques mètres sur la gauche de bidule »).

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Stéphane Arnier
Auteur et Maître du Jeu
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Je suis à la fois romancier de fantasy et auteur de jeux de rôle (game designer, créateur de background et scénariste). Et… mon opinion sur les cartes varie grandement selon la casquette que je porte.

Mon avis sur la présence de cartes dans les romans de fantasy est que… ce n’est qu’un usage, une coutume, et que les cartes font office avant tout de décorum

Le lecteur s’attend à voir une carte au début d’un roman de fantasy, et cela lui permet de se mettre dans l’ambiance, mais… par principe même, le texte du roman ne devrait pas avoir besoin de la carte pour être lu et compris. La carte n’a pas une fonction utilitaire (ou ne devrait pas en avoir : si tel est le cas, ce n’est pas très bon signe pour le livre). 

C’est donc un « plus », une parure dont on orne le roman si on en a les moyens, mais nullement un passage obligé. Il existe pléthore de bons romans de fantasy démunis de cartes. Personnellement, même s’il y a une carte en début de roman, j’y jette à peine un œil au début de ma lecture et ne m’y réfère jamais pendant (ou alors, comme je l’ai déjà dit plus haut, c’est plutôt mauvais signe).

Dans le jeu de rôle, en revanche, c’est très différent : la carte a une fonction utilitaire. Bien sûr, tout dépend de l’univers de jeu, de sa taille, et de la proposition ludique du jeu en question, mais dans des jeux de rôles disposant de beaucoup de background, les cartes représentent un support important et souvent incontournable. 

Elles peuvent endosser un rôle que l’auteur ne peut pas se permettre de leur donner quand il s’agit de roman : celui de véhiculer des informations qui ne sont pas dans le texte (et qu’il est souvent fastidieux ou compliqué de communiquer à l’écrit). 

En jeu de rôle, lire de longues descriptions de géographie est vite pénible. Les cartes peuvent permettre d’apprécier les distances en un clin d’œil, d’apprécier des topographies, de comprendre des influences politiques ou économiques. Leur style visuel concourt à la direction artistique du jeu, avec les illustrations. Elles forment une base stable sur laquelle plusieurs personnes (les joueurs et le meneur de jeu) peuvent échanger et bâtir le jeu, et fournissent des pistes et des idées d’extrapolation. 

En bref : c’est un outil bien plus important pour un jeu de rôle que pour un roman.

M’enfin, ce n’est que mon avis.

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Je reprends la main pour ajouter ma voix et vous donner la conclusion de cet article-interview-chorale.

Bon, vous vous doutez bien qu’avec un blog dédié à la cartographie fantasy, je ne vais pas vous dire que vous n’avez pas besoin de carte. C’est une porte d’entrée vers un univers, une ambiance et une carte réussie peut capter votre attention durant de longues minutes à la décortiquer si elle regorge de petits détails et de secrets sur lesquels mettre la main.

Toutefois, et pour nuancer mon propos, je rejoindrai l’avis de certains de mes camarades plus haut : pour un roman, si elle fait partie des « accessoires » intéressantes, elle n’en reste pas moins optionnelle. Si vous vous forcez à offrir une carte à vos lecteurs simplement parce qu’il convient d’avoir une carte, vous le faites pour de mauvaises raisons.

Mais si votre univers est très riche, qu’il ne se limite pas forcément à votre histoire, que d’autres éléments, d’autres supports gravitent autour, une carte restera appréciable (mais peut-être pas dans votre roman ?) et viendra nourrir votre lore.

En jeu de rôles, selon moi, vous aurez forcément besoin à un moment ou à un autre d’un support visuel du lieu où vous vous situez (encore plus si vous MJtez, lorsque vous créez votre scénario).

En définitive, besoin ou non, une carte sera forcément un plus, un bonus intéressant et pertinent. Mais comme pour beaucoup de choses, il conviendra de l’utiliser à bon escient et pas simplement parce qu’il faut ou parce que c’est une convention.

Et si vous vous demandez si vous en avez besoin, alors la réponse est peut-être déjà dans la question.

Je tenais enfin à remercier une nouvelle fois tous les intervenants de cet article. Il me tenait à cœur de réunir différents avis sur la question, différents points de vue et degrés de réponses (pour ou contre) et chacun peut ainsi se retrouver dans l’une ou l’autre des définitions données plus haut.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous vraiment besoin d’une carte pour votre monde ?

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Denis Vergnaud


Une carte ne se dessine pas toute seule, Denis doit être en train de se perfectionner dans l'art de la cartographie fantasy.
De quoi vous aider dans vos projets de cartes d'univers fantasy pour vos romans ou vos jeux de rôles.

  • En tant que lectrice, je trouve que bien souvent – et heureusement – on peut suivre l’histoire sans carte, mais j’aime les cartes. Ce n’est pas tant une question de se plonger dans l’ambiance et d’habitude (s’il n’y en a pas, je ne me plains pas, je ne suis pas déçue : il n’y en a pas, c’est tout) que de précision. J’aime aller regarder de temps en temps en marmonnant « mais c’est OÙ Bidulechouette, en fait ?! » et de regarder le trajet qu’ils ont pris, etc.
    En tant qu’autrice, ma foi, ça dépend de mes besoins. C’est de l’orga. Pour le dernier roman j’ai un archipel : je n’ai fait la carte que de l’île sur laquelle se passe l’action, je ne sais pas vraiment où se trouvent les autres îles par rapport à elle et elles n’ont même pas toutes de nom (c’est pas bien haha, un vrai créateur d’univers aurait fait ça correctement, mais bref :P) ; la ville a une carte schématique pour m’aider à me repérer dans l’espace, dans un coin de feuille de carnet. Et c’est tout.
    Après je me dis que les personnes qui ont du mal à se situer dans l’espace peuvent avoir besoin d’une carte. Un de mes bêta-lecteurs du roman précédent m’avait demandé une carte. Quand je lis des récits de bataille où Bidule descend avec la cavalerie du flan méridional de la crête machin-chose j’avoue que j’aimerais avoir une carte pour m’aider à imaginer qui vient d’où, ou est le flanc droit de l’armée, quel commandant est positionné où etc.

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